Claude Huet, ancien SDF devenu écrivain
Par Claude Huet-
Publié le : 24/07/2015
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Lecture 5 min
"C'est quand on a tout perdu que l'on n’a plus rien à perdre, mais tout à regagner"
1) Bonjour Monsieur HUET. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour. Je m’appelle Claude HUET, j’ai 64 ans et suis à la retraite depuis 2010. En 1967, j’ai obtenu un CAP de serrurier, métier que je détestais particulièrement car il ne représentait en rien mes rêves d’enfant. Je me suis alors tourné vers la soudure tous métaux qui était plus enrichissant
et beaucoup mieux payé, puis quelques années plus tard, je me suis spécialisé dans le blindage de portes haute sécurité.
Aventurier et curieux de découvrir de nouveaux horizons, je vais apprendre d’autres métiers du bâtiment durant quelques années pour gravir les échelons de la connaissance. Cela m’amènera aux fonctions de chef d’équipe, puis de contremaître et enfin travailleur indépendant.
Je suis marié (et très heureux de l’être) avec une charmante femme plus jeune que moi de 21 ans que j’ai d’ailleurs rencontrée quand j’étais SDF. Nous avons deux filles de 9 et 15 ans. Coincé par une modeste retraite (car mes 10 ans de rue sans ressources m’ont fortement pénalisés) nous habitons un petit logement social en banlieue parisienne.
2) Comment passe-t-on de chef d’entreprise à SDF ?
Pour passer de chef d’entreprise à SDF il ne faut pas grand-chose si l’on n’y prend pas garde car les facteurs à risques sont nombreux. Cela mène à une faillite brutale qui vous fait tout perdre en un instant. Cela peut venir d’une trahison d’un de ses employés, d’une concurrence déloyale, si ce n’est (comme pour moi) de s’être lancé dans une aventure sans un minimum de formation préalable. Et pour un peu que l’on n’ait pas un sous de côté, c’est fini !
3) Quels conseils donneriez-vous aux professionnels pour s’en sortir quand on est SDF ? De manière générale, comment garder son mental pour ne pas sombrer ?
Quand on se retrouve dans ce genre de situation on souffre de 2 choses :
– un sentiment de culpabilité et pire encore d’un sentiment d’infériorité par rapport aux autres. Les liens avec la famille ou les anciens amis sont brisés tout aussi brutalement car on ne cherche qu’à tenter de se comprendre soi-même et de tenter de découvrir ce qui nous est arrivé.
– Quant aux hébergements, ce domaine est une pure illusion et n’amène que très rarement une issus positive.
Le seul conseil que je puisse donner aux chefs d’entreprise à qui ce drame arriverait c’est (et cela va vous paraître bizarre) de profiter de cette situation pour repartir de plus belle en ayant pris le temps de corriger les erreurs commises. A ce sujet j’ai une phrase symbole qui est de se dire que : « C’est quand on a tout perdu que l’on n’a plus rien à perdre, mais tout à regagner« .
4) De quelles aides peut-on bénéficier lorsqu’on est SDF ?
Les aides quand on en est là, faut pas se faire d’illusions, si vous êtes malin vous décrocherez un secours d’urgence de 100 ou 150 euros, mais il ne faudra surtout pas revenir une seconde fois car vous n’êtes pas un cas unique.
La seule aide qu’il faudrait apporter et qui n’existe pas devrait être un soutien psychologique approprié à chacun. Quand on couche dehors on a besoin de tout, c’est vrai mais le primordial est de briser l’isolement dans lequel on se trouve et de pouvoir le partager avec un autre qui saura vous donner ce petit bout d’espoir sans lequel rien n’est possible.
5) Combien y a-t-il de SDF en France ? Le risque de devenir SDF est-il pour tout le monde ou y a-t-il un profil type de SDF ?
Combien a-t-on de SDF en France, difficile à chiffrer comme si ce sujet était un peu tabou. Toutefois on peut estimer entre 150 000 voire 200 000 (ou plus) le nombre de nos sans-abris. Le risque est pour tout le monde et il n’y a pas de profil type pour cela mais ayant fait des études approfondies à ce sujet, je pense qu’on peut y trouver une source assez sérieuse à travers l’enfance d’une personne suivant le milieu familial ou il (ou elle) évoluait, l’éducation reçue, des règles morales établies ou non et l’échec ou la réussite scolaire avéré.
Les accidents de vie, comme on les appelle, ont diverses origines comme un deuil, un divorce, une forte dépression nerveuse ou encore un profond déséquilibre intérieur que l’on a jamais su contrôler sans oublier des parents qui mettent leur enfant dehors alors que celui-ci est à peine sorti de l’adolescence !
6) Quels conseils donneriez-vous aux professionnels pour ne pas devenir SDF ?
Je n’ai pas un conseil à donner aux professionnels pour ne pas devenir SDF, mais de multiples. Si je passe la règle élémentaire qui est d’avoir su bien préparer son avenir en ayant bien travaillé à l’école, je conseillerais de surtout exercer une profession à travers laquelle il y aura une réelle possibilité d’épanouissement; puis ne jamais investir ses biens personnels (qu’on ne manquerait pas de vous saisir en cas de faillite). Ne jamais s’associer avec une personne que l’on ne connait pas car c’est un bon moyen de se retrouver un jour victime d’escroquerie à votre encontre. Savoir préparer ses vieux jours car la jeunesse n’est pas éternelle en mettant de côté un peu d’argent (au cas où). Enfin savoir exactement où vous mettez vos pieds en connaissant votre domaine d’activité et ses risques.
7) Comment êtes-vous devenu écrivain ?
Comment suis-je devenu écrivain? Et bien c’est simple car c’était pour devenir quelqu’un avec une autre carte de visite que celle de moins que rien. En réalité, quand je rencontre cette jeune femme je suis à la rue et je n’ai rien à lui offrir au niveau matériel. Cette fabuleuse rencontre, il fallait bien que j’en parle et cela a été mon premier livre intitulé 10 jours 9 nuits. Pour elle, pour nous deux il me fallait un véritable statut et je pensais à l’époque que devenir écrivain ouvrirait un nouvel univers, celui d’aligner des mots sur une page pour s’exprimer.
En 2012, après avoir galéré depuis trop longtemps nous avons enfin eu un logement social où j’ai pu installer ma petite famille, puis je me suis remis à l’écriture et LA DESCENTE AUX ENFERS (ndlr: le livre est disponible ici) est parue en fin de cette année. Avec ce deuxième ouvrage j’ai mis un point final à toute cette période néfaste en racontant le combat insensé qu’il faut mener pour retrouver le droit d’exister. C’est un livre plein d’espoir et de cruelles vérités sur le monde de la rue qui a auprès de mes lectrices et lecteurs un gros succès.
8) Pourquoi avoir décidé de fonder l’association SOS SANS ABRIS ?
Aujourd’hui, je suis le Président d’une toute jeune association qui s’appelle S.O.S-SANS-ABRIS (ndlr: http://1-autre-regard.com) qui a pour but de venir en aide aux plus démunis. Il fallait bien qu’un jour quelqu’un réagisse en rapport à ce grave problème qui ne cesse de s’aggraver un peu plus chaque jour qui passe.
J’en ai eu assez d’entendre mes anciens compagnons me dire qu’ils n’existent plus ou qu’ils n’attendaient plus rien de la vie. Quand j’écrivais (ou plutôt prenait des notes pour ce qui serait peut-être un jour un livre) ils me demandaient ce que j’étais en train d’écrire, alors je leur répondais que c’était leur histoire tout en leur disant :
« Un jour quand je serai sorti de là, je m’occuperais de vous ! »
Je ne veux pas jeter la pierre aux associations, elles agissent dans l’urgence, mais moi je sais ce qu’il faut faire pour les sortir définitivement de la rue car j’y ai vécu.
9) Avec du recul, si vous deviez avoir une leçon de vie à partager, laquelle serait-elle ?
Vous me demandez avec le recul si je devais partager une leçon de vie quelle serait-elle? Eh bien c’est déjà fait car la rue en est une. Je pourrais vivre des dizaines d’autres vies que jamais je n’aurais l’occasion de côtoyer des êtres humains aussi extraordinaires. Que ce soit Lulu, Baguette, Pierrot et tous les autres, d’avoir partagé tant de choses est une expérience inoubliable car pour accepter de vivre dans de telles conditions pendant des mois ou des années, il faut être fort, très fort. Ne vous faites pas de fausses idées sur eux, ils méritent vraiment qu’on les sorte de là !
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