Nicole El Karoui, intégrer le Master Nicole El Karoui
Par Nicole El Karoui-
Publié le : 21/11/2014
-
Lecture 6 min
Il faut savoir que les entreprises valorisent énormément les profils féminins, très sous-représentés pour le moment. De très beaux postes et de très belles perspectives de carrière sont donc à pourvoir pour les femmes.
I) Présentation de Nicole El Karoui
1) Bonjour Madame El Karoui. Pourriez-vous vous présenter ?
Bonjour. Concernant ma formation, après une classe préparatoire scientifique, j’ai intégré l’ENS(JF), fusionnée depuis avec l’ENS Ulm.
Ma carrière s’est divisée en deux temps :
– de 1969 à 1988, j’ai d’abord mené une carrière dans la recherche fondamentale en tant qu’enseignant-chercheur. C’était un poste académique et universitaire que j’ai mené à l’université du Mans puis à l’ENS Fontenay.
– à partir de 1989, j’ai créé une formation à Paris VI portant sur les mathématiques appliquées à la finance, devenue par la suite le Master de probabilités et finance.
2) Comment êtes-vous passée d’enseignant-chercheur à la création du Master El Karoui ?
Avant d’aller enseigner à Paris VI, j’ai pris une année sabbatique durant laquelle j’en ai profité pour effectuer un stage de 6 mois dans La Compagnie Bancaire, une ancienne filiale de BNP Paribas. A ma grande surprise, je me suis aperçue que les gens avec qui je travaillais utilisaient des objets mathématiques extrêmement sophistiqués comme les processus stochastiques. Etant donné que c’était l’un de mes sujets de recherche, les gens venaient me posaient des questions dessus. L’échange a été fructueux : je répondais à leurs questions en mathématique et de mon côté, j’apprenais et découvrais la finance de marché, monde qui m’était encore parfaitement inconnu à cette époque.
J’ai ensuite travaillé en Conseil à la Caisse des Dépôts. J’ai notamment travaillé sur l’élaboration de taux d’intérêt.
3) Qu’est-ce que vous avez tiré de cette première expérience en Finance de marché?
La France venait d’autoriser la création de marchés financiers (Matif 86). Je suis arrivée à un moment où il fallait tout construire ex nihilo : le marché des produits dérivés était encore récent et les outils informatiques étaient en train de changer radicalement, des gros IBM aux PC. L’informatique se démocratisait, et se développait à un rythme effréné. De nombreux calculs devenaient possibles dans des délais courts. J’ai beaucoup appris sur le monde de la finance. C’était vraiment fantastique à tous les niveaux. C’est à la suite de cette expérience réussie que j’ai décidé de créer le Master Probabilités et Finance.
4) Pourquoi ne pas avoir choisi de continuer à travailler en banque ?
C’était la première fois que je découvrais le monde professionnel. Cela m’a permis de comprendre la réalité des marchés de l’intérieur. Pour autant, je n’avais pas envie d’en faire un métier. Qui plus est, le monde de la recherche permet de disposer de plus de libertés intellectuelles.
II) Le Master El Karoui
5) Qu’apprend-t-on dans le Master El Karoui ?
Le but du Master est de former ce qu’on appelle communément des « Quants », c’est-à-dire des ingénieurs financiers quantitatifs qui seront amenés à travailler dans les salles de marché. Pour cela, on apprend aux étudiants à se servir efficacement des outils informatiques et à comprendre en profondeur les mathématiques financières.
6) Comment y est structuré l’enseignement ?
Le Master dure un an et se décompose en deux parties. La première est plutôt théorique : on apprend les matières fondamentales à haut niveau : probabilités, statistiques, calcul stochastique, méthodes numériques, finance de marché… Ce programme est très dense et les étudiants doivent donc fournir une charge de travail importante.
Le deuxième trimestre dispense des cours optionnels portant sur divers sujets beaucoup plus appliqués, faits par des professionnels, comme la régulation, la haute fréquence, la gestion des risques…
La formation se termine sur un stage de 6 mois à effectuer dans une institution financière. C’est un stage exigeant et surveillé où les étudiants doivent mettre en application leurs acquis durant l’année.
7) Quels sont les critères de sélection pour être accepté dans votre Master ?
La formation est dispensée à UPMC-Paris VI dans le département des mathématiques appliquées. Il faut donc une bonne culture en mathématiques, mais plus spécialement en probabilité. Ensuite, il faut avoir d’excellentes bases en informatique dont la programmation en C++. Le Master s’adresse donc essentiellement à des scientifiques.
8) Combien avez-vous d’étudiants par an ?
Nous n’avons pas de quotas d’étudiants. Leur nombre dépend des années, et de la situation de l’emploi dans les banques. Ensuite, il faut distinguer la situation avant et après la crise. Avant la crise, on avait environ 120 étudiants. Désormais, on en a environ 60.
9) Quel est le taux d’admission à votre Master ?
Cette année (ndlr : 2013), on a reçu environ 200 dossiers et on en a accepté 60. Cela fait donc un taux d’admission autour de 30%.
10) Quel est le profil de vos étudiants ?
Les étudiants sont surtout des scientifiques disposant à la fois d’excellentes connaissances en mathématiques et en informatique. Dans l’ensemble, un tiers provient de l’université et deux tiers sont des ingénieurs issus des Grandes Ecoles comme Polytechnique et qui sont passés par les classes préparatoires. A noter que chaque année, nous avons 3 à 5 étudiants qui viennent d’école de commerce. En revanche, pour cette dernière catégorie d’étudiants, il est demandé à ce qu’ils aient une licence voire un Master 1 en mathématiques.
11) Pourquoi y a-t-il si peu d’étudiants provenant de l’université ?
Cela tient au fait que tous les étudiants acceptés ne viennent pas nécessairement dans notre Master, car ils préfèrent parfois aller dans les Grandes Ecoles d’ingénieurs. Sur un CV, c’est plus valorisant sur le long terme.
12) Votre Master est-il ouvert aux étrangers ?
Oui tout à fait. Quasiment 45% de nos étudiants sont étrangers. Néanmoins, on exige d’eux qu’ils aient faits au moins un an d’adaptation en France afin d’être sûrs qu’ils puissent suivre efficacement les cours en français. Parmi les nationalités, il y a beaucoup de Chinois. Les anglo-saxons sont peu représentés car leur niveau en mathématiques est souvent moins élevé qu’en France.
13) Dans quelle langue sont dispensés vos cours ?
Tous les cours sont en français.
14) Y a-t-il beaucoup de filles dans votre Master ?
Non pas vraiment. De manière générale, parmi les scientifiques, il y a plus de garçons que de filles. C’est un fait. Néanmoins, il faut savoir que les entreprises valorisent énormément les profils féminins, très sous-représentés pour le moment. De très beaux postes et de très belles perspectives de carrière sont donc à pourvoir pour les femmes.
15) Quels sont les débouchés à l’issu de votre Master ?
Le Master forme essentiellement pour le métier de « Quant » mais d’autres voies sont possibles. Par exemple certains diplômés vont travailler dans des cabinets de conseil, des Hedge Funds ou en Asset Management. Certains vont même travailler en ssurance ou en comptabilité des marchés financiers. La double compétence finance/comptabilité est très rare et être expert dans ces deux domaines peut ouvrir des débouchés très prometteurs.
Depuis la crise, il est vrai que les grandes entreprises recrutent moins. Pour autant, nos diplômés n’ont que peu de mal à trouver un poste intéressant notamment dans les départements risques des entreprises, secteur qui embauche beaucoup en ce moment.
Au niveau du lieu géographique, plus de 50% des diplômés s’expatrient à Londres. D’autres vont en Asie (Hong-Kong) ou aux Etats-Unis (New York).
16) A quel point votre Master est-il reconnu par les entreprises ?
Il faut savoir que nos diplômés sont recrutés comme s’ils avaient un niveau de PhD. C’est donc un indicateur clair qui montre que nos diplômés sont bien reconnus auprès des entreprises.
17) Quel est le coût de votre Master ?
La formation coûte 350€ par an ce qui correspond au coût d’inscription à l’université. C’est très peu quand on sait qu’un Master à niveau équivalent aux Etats-Unis coûte 40 000 dollars par an.
18) Quelles sont les autres formations que vous conseilleriez pour accéder au monde de la haute finance ?
En France, on est très élitiste alors qu’il existe d’autres excellentes formations très reconnues par les entreprises. A Paris VI, il y a aussi le Master Pro IFMA, plus opérationnel qui offre de très bons débouchés. Mais il y a aussi d’excellentes formations a Paris VII, Dauphine, Evry, Marne-la Vallée. Par exemple, on peut citer le Master ISIFAR à Paris VII qui ouvre de nombreux débouchés. Vous pouvez trouver la liste sur le site de Maths-fi.com.
III) Perspectives du secteur de la finance
19) Est-ce que, du fait de la crise, le secteur de la haute finance recrute moins ?
70% des diplômés n’ont pas vu la différence entre avant et après la crise. Tout au contraire, les entreprises ont besoin de personnes qui comprennent en profondeur les marchés financiers et leurs aspects quantitatifs. Nos diplômés sont donc encore très demandés.
20) La révolution numérique est-elle en train de changer les métiers de la finance ?
La révolution numérique a débuté dès les années 90. Il faut savoir que la haute finance est une industrie de pointe qui utilise des technologies très avancées. Une étude a même montré que la croissance des marchés financiers s’est développée à la même vitesse que les nouvelles capacités de calculs.
IV) Conseils
21) Quels conseils donneriez-vous aux étudiants voulant intégrer votre Master ?
La culture en mathématiques, probabilités et en informatique est fondamentale pour bien réussir. Si on ne dispose pas des bases, on n’aura pas le temps de les acquérir pendant le Master car le rythme est très soutenu.
22) Quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour réussir leur carrière dans la haute finance ?
La haute finance est un secteur qui bouge beaucoup donc il faut savoir s’adapter et être réactif aux changements sous peine d’être éjecté. Il faut également aimer résoudre des problèmes complexes et ne pas hésiter à changer de poste. La haute finance rémunère un peu moins depuis la crise mais cela reste toujours plus élevé que dans l’industrie. Si on veut y durer et accéder à des postes de haut niveau, il est conseillé de faire une thèse.
23) Merci pour cette interview. Je vous laisse le mot de la fin.
Quel que soit son métier, on est bon que si on s’y plaît. Il ne faut pas travailler pour le salaire. Il faut aussi savoir prendre du recul sur ce qu’on fait et avoir un vrai intérêt pour l’économie et la finance, ce que certains ingénieurs n’ont pas forcément.
Inspirez vos ami-es en leur partageant ce parcours :
Laissez-vous inspirer par ...
Bérangère Touchemann, coach professionnelle
Par Bérangère Touchemann
Hélène Thomas, gestion de carrières et entrepreneuriat
Par Hélène Thomas
Pierre Gévart, du CAP à l’ENA
Par Pierre Gévart
Laurent Cervoni, Directeur IA chez Talan au parcours protéiforme
Par Laurent Cervoni