Yann Lechelle, Ancien COO de Snips [Interview Retour]
Par Yann Lechelle-
Publié le : 12/03/2023
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Lecture 5 min
" Que ce soit chez Snips ou Scaleway ou ailleurs, je souhaite continuer à modeler les projets sur lesquels je travaille "
1. Bonjour Yann. Je suis très heureux de vous revoir. La dernière fois, cela remonte à 2018, vous étiez alors COO chez Snips. Pourriez-vous nous dire ce que vous êtes devenu depuis ?
Bonjour, merci pour cette nouvelle interview.
Snips a été vendu à Sonos in extremis en 2019 pour 37 millions de dollars. Sonos a été le parfait repreneur pour intégrer notre technologie d’assistant vocal embarqué à son offre. Suite à cette opération réussie de fusion-acquisition, j’ai reçu une offre de Xavier Niel qui était investisseur chez Snips pour devenir Directeur Général de Scaleway, un petit opérateur Cloud niché chez Iliad fondé par Xavier lui-même il y a une vingtaine d’années de cela. A l’époque, je ne connaissais pas du tout cet opérateur mais il était clairement sous-marketé et sous-développé. J’ai donc accepté le challenge et ai rejoint Scaleway en février 2020.
2. Qu’est-ce que vous a apporté votre expérience chez Scaleway ?
Cela a été une superbe aventure qui m’a permis d’accompagner Scaleway dans sa phase d’hypercroissance. En 3 ans, j’ai triplé les effectifs (600 employés au total), opéré les changements en interne dont l’opérateur avait besoin au niveau culturel et organisationnel, tout en affinant le positionnement marketing de son produit de cloud public, et en développant les ventes. En l’espace de quelques années, Scaleway est passé d’un acteur de niche à un acteur reconnu sur son marché (ndlr: plus d’informations ici, ici et ici) et qui n’a pas du tout à rougir face à ses concurrents.
Sur un plan plus personnel, Scaleway m’a apporté une expérience de Change Management et d’hyperscalability le tout dans un contexte particulier puisqu’on était en pleine période de crise Covid. Il faut savoir que j’ai pris mon poste 2 semaines avant le 1er confinement et dans un marché hyper concurrentiel dominé par 3 acteurs dont la valorisation dépasse les 4 trillions de dollars. J’ai découvert une entreprise qui avait traversé deux décennies, pivoté plusieurs fois, établie sur des marchés très mûrs et concurrentiels, et avec une complexité accrue pour convaincre des développeurs, des clients et des partenaires très exigeants. Les concurrents américains (dont AWS, GCP et Azure) disposent d’une large avance marketing et technologique sur nos acteurs régionaux. Leur lobby leur permet de s’octroyer des avantages compétitifs voire anti-concurrentiels vis-à-vis du marché européen. J’ai dû développer un discours géopolitique et géoéconomique pour imposer Scaleway comme fournisseur légitime d’infrastructures numériques régionales. L’UE doit rester la 3ème voie entre la rivalité qui oppose la Chine aux Etats-Unis. A l’échelle plus nationale, je pense que la France devrait se doter d’un CTO capable d’orienter la roadmap technologique du pays, et orienter la commande publique pour plus d’autonomie stratégique (ou souveraineté numérique).
3. Vous menez actuellement une Discovery pour trouver et choisir votre prochaine étape. Comment vous est venue l’idée et quels sont les résultats actuellement ?
Ma première volonté était de ne pas m’enfermer par défaut dans la verticale dans laquelle j’étais chez Scaleway, à savoir le Cloud et l’infrastructure numérique. Pour autant, je veux poursuivre le fil directeur de ma carrière, le Software et une approche Produit.
Je ne suis pas à la recherche d’un poste, je suis à la recherche d’une problématique dans laquelle je souhaite m’investir. A cet effet, ma Discovery répond à ce besoin, d’où ma démarche. J’ai donc entrepris de rencontrer de nombreuses personnes et cela fonctionne très bien. J’ai eu 120 rendez-vous en 6 semaines, soit 5 rendez-vous par jour. J’ai identifié 50 projets, 11 thématiques. Finalement, j’ai reçu une dizaine d’offres parmi lesquelles 3 sont toujours actives et que je continue d’étudier.
Le marché actuel est très dynamique et je sais que ma valeur ajoutée aujourd’hui se situe plus dans le développement d’une entreprise plutôt que dans sa création ex nihilo.
4. Quel regard portez-vous sur la Tech française par rapport à d’autres secteurs ?
J’ai souvent pensé que la French Tech n’était pas assez Tech. Avant toute chose, il faut faire une distinction entre la Deep Tech et la Tech. En 2023, force est de constater que la Tech est partout, tout comme l’IA d’ailleurs. Toute entreprise a besoin et intérêt à maîtriser la Tech, c’est une obligation, au même titre que les entreprises ont besoin de maîtriser les risques cyber – cela fait partie des responsabilités du dirigeant. Ne pas avoir une approche Tech serait presque une erreur de gestion. Par ailleurs, la Tech est rendue disponible en étant accessible directement sur étagère : il n’y a donc aucune raison pour laquelle le Top management des entreprises ne puisse se saisir de ces opportunités, que ce soit pour automatiser ou optimiser des process, ou pour innover et rester compétitif.
5. Le débat actuel sur la réforme des retraites montre qu’une certaine tendance auprès des nouvelles générations semble se dessiner, à savoir qu’elles se voient de moins en moins travailler jusqu’à 65 ans. Pensez-vous que l’entrepreneuriat puisse être un choix à vie ou qu’il vaut mieux, à un certain âge, chercher un poste en tant qu’employé pour garantir une certaine sécurité ?
L’entrepreneuriat est un état d’esprit. Ce faisant, les entrepreneurs ne cherchent pas un horizon de retraite car ils ne subissent pas la pénibilité de leur emploi et ne ressentent pas d’âge fatidique auquel ils doivent forcément se raccrocher. C’est dans leur tête que cela se passe et ils n’attendent pas forcément que l’Etat Providence les aide. L’âge précis de la retraite n’a donc pas de signification pour moi, personnellement.
De l’autre côté, l’employé, contrairement à l’entrepreneur, n’est ni propriétaire ni en maîtrise du véhicule qui l’emploie. Par conséquent, il mérite une retraite au bout d’un certain temps. Bien évidemment, l’entrepreneur mérite également une retraite puisqu’il participe à créer une dynamique positive qui permettra derrière de payer des charges et des impôts, ce qui alimente les caisses de l’Etat. Le problème pour l’entrepreneuriat est qu’en France, on ne le valorise pas forcément suffisamment comme vecteur de croissance. Nous devrions tous célébrer ceux qui génèrent payent énormément d’impôts !
6. Que dirait le Yann d’aujourd’hui au Yann Lechelle de Snips ?
Je lui dirais de continuer à se faire confiance, d’être passionné, de se battre pour sa cause et sa raison d’être. Que ce soit chez Snips ou Scaleway ou ailleurs, je souhaite continuer à modeler les projets sur lesquels je travaille, pour qu’ils atteignent le maximum de leur potentiel. Je ne travaille pas pour un salaire mais pour donner du sens à mon travail, avec conviction et intégrité; le salaire ne devant être qu’une juste contrepartie à la création de valeur. C’est ce qui m’anime et c’est ce que je souhaite continuer de faire. La question que je garde en tête est de savoir ce que, au final, je produis concrètement, et que cette production rencontre son marché. C’est ce qui me permet au quotidien de donner du sens à mes actions.
7. Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? et dans 10 ans ?
J’ai 51 ans actuellement et j’ai encore beaucoup d’énergie et d’envie opérationnelles pour poursuivre avec passion mes projets.. Je conçois encore au moins 2 cycles opérationnels ou 1 cycle très long. D’ici 10 ans, peut-être que je serai moins dans un poste purement opérationnel et que je serai plus dans une volonté d’accompagnement ou de transmission, par exemple position en passant du côté du capital pour financer les nouveaux projets prometteurs, ou en tant que conseil pour minimiser les risques inhérents à l’execution d’un business plan ou d’une stratégie de coaching ou de consultant : je le fais déjà humblement en tant qu’Angel ou en tant que Mentor – cela m’a toujours importé de transmettre aux nouvelles générations.
8. Merci beaucoup pour votre interview. Je vous laisse le mot de la fin.
Les nouvelles générations ont le choix d’entreprendre ou pas. Monter une startup, c’est trouver l’alignement des étoiles entre la constitution de l’équipe, le market fit, les investisseurs… Il ne faut pas monter une startup par défaut ni parce qu’on n’aime pas son job actuel. Les bonnes conditions doivent être réunies.
A la différence d’avant, il existe désormais une multitude de startups qui méritent d’être rejointes et d’être développées. C’est une opportunité à saisir pour les jeunes diplômés.
Enfin, il faut également choisir le leader (il en existe plusieurs types) pour lequel on souhaite se mettre au service.
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