Yann Lechelle, entrepreneur et COO chez Snips
Par Yann Lechelle-
Publié le : 02/05/2018
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Lecture 7 min
" La notion de réussite est plutôt éphémère ; je préfère l’inscrire dans des cycles longs. On n’a pas réussi tant que le flambeau n’est pas passé à la génération d’après "
1ère partie : votre parcours
1) Bonjour Yann. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bonjour. Je m’appelle Yann Lechelle. Je travaille en tant que Directeur des Opérations chez Snips. Mon parcours s’est organisé en 3 temps :
a) Ma vocation commence à 10 ans. Féru de programmation, j’ai commencé à coder très jeune en parallèle à mes études en créant par exemple des logiciels pour calculatrices programmables. A l’époque, l’informatique n’était pas aussi développée et démocratisée que maintenant : c’était un sujet globalement vierge où il y avait peu d’aide et peu d’informations sur le sujet.
b) Lorsque je programmais, je n’avais pas de modèle ni de tuteur de qui je pouvais m’inspirer. Le schéma familial m’incitait à faire des études supérieures. Toutefois, je ne me voyais pas faire une prépa scientifique. Ma mère, qui était enseignante, et qui justement insistait plutôt pour un cursus classique, a eu l’excellente idée de m’envoyer faire un programme d’échange dans une famille d’accueil aux Etats-Unis pendant un an. C’est une expérience que j’ai adorée car cela m’a permis d’augmenter mes capacités linguistiques. De retour en France, c’est donc tout naturellement que je me suis orienté vers l’Université Américaine de Paris, un choix hybride. Mon objectif était d’obtenir le plus rapidement possible mon diplôme pour pouvoir ensuite me consacrer pleinement à ma passion pour la programmation. J’ai donc travaillé de manière intense pour obtenir un Bachelor of Science en Computer Science en 2,5 ans que j’ai pu plus tard troquer pour une équivalence Bac+5. Une fois diplômé, j’ai travaillé dans différentes entreprises en tant que Software Engineer, notamment à l’étranger.
c) A 29 ans, j’ai ensuite fait un MBA à l’INSEAD, pour aller au-delà de l’informatique, compléter mon profil, et me former au Business ainsi qu’au Top management. En plus de cela, le MBA m’a ouvert beaucoup de possibilités. Néanmoins, j’ai refusé toutes les propositions de job qu’on m’offrait car j’ai préféré créer ma start-up. De ma promotion à l’INSEAD, j’ai été le seul à m’être lancé dans l’entrepreneuriat, et cela en dépit de la bulle Internet (fraichement éclatée en 2001).
2) Comment s’est faite la transition entre votre passé de Software Developper et l’entrepreneuriat ? Y a-t-il des synergies entre les 2 ?
Dans les années 1990, un ordinateur présentait un champ des possibles immense mais ne permettait pas encore de faire grand-chose, contrairement à maintenant.
Pourtant, j’y croyais dur comme fer. Et c’est justement cela l’entrepreneuriat : penser de manière indépendante, croire dans quelque chose et y aller même si de nombreuses inconnues subsistent. Quand on voit un potentiel à développer, il faut donc foncer et se donner les moyens de réussir. C’est ce qui m’a poussé, à 14 ans, a distribué des logiciels en Guadeloupe, et à 17 ans, à développer un réseau social en exploitant la plateforme Minitel.
Plus tard, j’ai créé 5 startups que j’ai ensuite toutes revendues avec plus ou moins de succès.
3) Quels conseils donneriez-vous aux jeunes pour trouver leur orientation ?
Il n’y a aucun problème à avoir une passion. Néanmoins, il faut que cette passion soit en adéquation avec le marché et que ce dernier valorise la contribution. Si par exemple vous aimez la musique, vous pouvez travailler dans ce secteur en vous spécialisant dans les droits d’auteur ; il est donc préférable de tenter devenir avocat plutôt qu’artiste, un métier qui est plutôt précaire pour l’immense majorité d’artistes.
Une vocation, c’est la rencontre entre des options et des compétences valorisables.
4) Etant donné votre réussite, tant académique que professionnelle, que vous reste-t-il encore à accomplir ?
La notion de réussite est plutôt éphémère ; je préfère l’inscrire dans des cycles longs. On n’a pas réussi tant que le flambeau n’est pas passé à la génération d’après, dont mes enfants. Mon souhait est évidemment qu’ils trouvent, à leur tour, leur vocation. Mais jamais au détriment des fondamentaux, c’est à dire que les études priment et il faut qu’ils aillent au plus loin de leurs capacités avant de pouvoir appliquer ces années formatives.
5) Avant de rejoindre Snips, vous aviez hésité à rentrer chez les GAFA ou un grand groupe, comme vous l’expliquiez dans votre manifesto. Vous avez finalement choisi de rejoindre la jeune startup Snips. Comment faites-vous pour toujours vous inscrire dans le mouvement ?
C’est quelque chose qui se travaille et s’entretient, au même titre qu’un muscle. L’entrepreneuriat, c’est apprendre sans cesse. Par exemple ma première startup, je l’ai lancée seul et sans financement, tandis que la seconde, je l’ai co-fondée et j’ai levé des fonds. Maintenant, cela me semble trivial, pour lancer un projet, de construire une équipe et procéder à une levée de fonds. Au passage, même s’il faut garder un maximum d’indépendance, je pense qu’il ne faut pas hésiter à s’allier à des fonds externes car cela permet notamment de valider son projet de startup.
2nde partie : vos retours d’expériences
6) Vous avez fondé ou co-fondé 5 startups en l’espace de 15 ans. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs ?
Le 1er conseil : ne pas rejeter l’expérience que l’on peut acquérir au sein de grands groupes ou autre société établie: il est préférable, à mon sens, d’entreprendre, non pas à la sortie de l’école mais plutôt après plusieurs expériences professionnelles.
Le 2ème conseil : lancez-vous dans l’entrepreneuriat quand vous êtes jeune car vous aurez moins à perdre (en France, rien à perdre en fait par rapport à d’autres pays)
Le 3ème conseil : il ne faut pas entreprendre pour entreprendre. Il faut que les conditions pour créer son entreprise soient favorables (timing, équipe, go-to-market, écosystème etc.). Les étoiles doivent être alignées pour entreprendre.
7) La vie d’un entrepreneur est exaltante mais comme pour toutes situations, il y a le revers de la médaille. Un entrepreneur doit donc, parfois, faire face à de grandes difficultés. Que souhaiteriez-vous dire aux entrepreneurs dans ce genre de situation ?
Les entrepreneurs qui commencent trop tôt risquent parfois d’abandonner trop vite. Avoir vécu autre chose que l’entrepreneuriat est donc important à mes yeux car cela permet de se rappeler les autres problèmes qu’on a vécus lorsqu’on était salarié au sein d’une entreprise souvent plus stable au quotidien. Bien évidemment, je conçois que le problème des cadres des grands groupes, dans notre société actuelle, est qu’ils ne voient plus l’impact de leur travail. Un entrepreneur, c’est tout l’inverse car il est aux commandes et voit donc directement le fruit de son travail. Par exemple, s’il fait mal son travail, le client le pénalisera. S’il le fait bien, le client achètera sa solution ou son produit, et l’argent ainsi gagné sera aussitôt réinjecté dans les projets de la startup. Un entrepreneur tech peut être comparé à un artisan, dans le sens où c’est quelqu’un qui crée lui aussi. Néanmoins, il présente la spécificité qu’à chaque fois qu’il résout un problème, ses efforts diminuent tandis que ses gains de productivité augmentent.
8) L’écosystème français actuellement est propice pour créer sa startup. Pensez-vous que cela durera à moyen terme ?
Tout laisse à penser que oui car la France a fait d’énormes progrès pour favoriser le terreau de l’entrepreneuriat. Par exemple, la suppression du fichage par la Banque de France des entrepreneurs dont l’entreprise a été liquidée est effective depuis 2013, l’utilisation du Crédit Impôt Recherche s’est développée etc.
En tant que membre fondateur de France Digitale, j’ai également participé au mouvement des pigeons en 2012 qui a permis de diminuer la taxe sur les plus-values, en la faisant passer de 62% à 28% (dégressif), même si elle est remontée depuis à 30% (flat-tax, plutôt une bonne chose). A cet égard, je tiens à remercier le travail remarquable qu’a fait Fleur Pellerin, qui à l’époque, était ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique dans le Gouvernement de François Hollande.
Désormais, tous les partis politiques, de droite comme de gauche, se sont emparés du sujet de l’entrepreneuriat pour favoriser et renouveler le terreau optimal pour la création d’entreprise. Et ils ont raison car les startups sont les énergies vives de notre beau pays, elles complètent les forces sédentaires que sont les grands groupes.
9) La plupart des startups que vous avez créées l’ont été en France. Vous avez également fait votre MBA à l’INSEAD, que l’on peut qualifier de « français ». Pourquoi cet attachement pour la France ? Pensez-vous que ce soit le pays idéal pour créer son entreprise ?
A l’époque où je devais choisir mon MBA, j’ai choisi de le faire en France précisément pour venir m’installer en France et y fonder mon foyer familial. Mon choix s’est donc porté pour le MBA de l’INSEAD. Sinon, j’aurai fait celui de la Columbia Business School car j’habitais à l’époque à New York.
Si en Angleterre cela prend 15 minutes pour créer son entreprise, en France, il faut quelques jours. La différence est donc négligeable voire insignifiante car on ne monte pas sa boite tous les jours ! Par ailleurs, la France a supprimé environ 90% des barrières pour créer sa startup. Qui plus est, nous avons la chance de disposer en France de nombreux avantages, dont celui d’une excellente protection sociale ou la gratuité de l’éducation pour les enfants qui nous protège efficacement si nous échouons dans notre projet entrepreneurial. A cet égard, je pense que la France est probablement le meilleur endroit pour créer son entreprise si l’ambition est internationale. J’ai d’ailleurs écrit un article sur ce sujet il y a quelques années de cela en faisant un parallèle avec Israël que l’on surnomme la « startup nation ».
10) Que pensez-vous qu’il fasse améliorer en France ?
Je pense qu’il faut que nous nous dotions de grands groupes capables de racheter des startups, au même titre que les GAFA, et que les emplois restent en France. En effet, il faut rester réaliste : l’écrasante majorité des startups ne devient pas des grands groupes. Il est alors essentiel de recycler le talent et la production de l’essentiel des startups.
11) Il existe un « malaise » récurrent dans les laboratoires de recherche dû notamment au fait que les chercheurs doivent consacrer une trop large partie de leur temps pour trouver des financements. Pensez-vous qu’il soit préférable, pour un jeune thésard, de faire de la recherche au sein d’une startup plutôt qu’un laboratoire ?
Une startup, même après une levée de fonds réussie, n’a pas forcément le luxe du temps long. Ses perspectives à 3 ans sont limitées. Dans ces conditions, il est difficile de recruter des thésards en CIFRE pour la plupart des startups.
Alors qu’avant un thésard était souvent mal payé, il devait s’exporter à l’étranger pour y faire de la recherche, notamment en Californie. Désormais, il peut désormais trouver des environnements propices en France pour étudier dans son domaine de recherche, et cela tout en étant mieux valorisé et rémunéré qu’avant : il a une vraie carte à jouer dans le D de la R&D (ndlr : Recherche & Développement).
Chez Snips, on dispose désormais d’une bonne visibilité à moyen terme et nos prévisions se sont révélées exactes : notre startup peut donc s’orienter vers un modèle plus hybride, à l’intersection entre la production et la recherche.
12) Quand on arrive au sommet, il existe toujours le risque, pour un grand dirigeant, d’avoir un excès de confiance en soi. Comment arrivez-vous à ne pas tomber dans ce piège ?
Un entrepreneur a besoin d’une forme d’insouciance mesurée. Il ne faut pas croire que les entrepreneurs ne doutent pas : tout au contraire, ils sont anxieux de savoir s’ils sont sur la bonne route. Le doute est sain parce qu’il permet de toujours se remettre en question et de ne jamais considérer les choses comme acquises. Cela permet par exemple à un entrepreneur de « pivoter » dans son projet. Pivoter est équivalent à douter puis agir. Le faire de manière récurrente permet de rester agile et résilient.
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