Devenir Commissaire priseur
Par Marion-
Publié le : 24/10/2018
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Lecture 9 min
" Le métier avec l'image qu'il a aujourd'hui est amené à disparaître. En revanche, on peut exercer le métier dans des milieux tellement différents que c'en est un métier d'avenir. "
1) Bonjour Marion. Pourriez-vous vous présenter ?
J’ai 39 ans, originaire de Bourgogne. J’exerce le métier de commissaire-priseur depuis plus de 10 ans. J’ai réussi mon examen à 26 ans.
2) Comment es-tu devenue commissaire-priseur ?
Après le bac, j’ai fait du droit car je ne savais pas ce que je voulais faire précisément mais je ne souhaitais pas me fermer de porte. C’était un bon compromis. Le pragmatisme du Droit m’a tout de suite plu mais j’ai vite compris que ma passion n’était pas là.
En 1ère année de droit, un professeur m’a parlé du métier de commissaire-priseur car j’aimais l’art et les objets. J’avais vu une fiche métier à la fac présentant le métier commissaire-priseur comme un commercial déguisé en Monsieur Loyal. Insistant sur le fait qu’il fallait aimer le contact, la foule et le spectacle. Je ne m’y voyais pas du tout à car je suis plutôt quelqu’un de timide. J’ai donc continué en droit. En fin de licence, je réalise que le droit ne me plait pas fondamentalement, j’avais peur de m’ennuyer et la nature par essence conflictuelle de la plupart des métiers afférents ne me convenait pas mais j’ai tout de même continué jusqu’à la maîtrise de droit des affaires.
A la fin de mes études de droit, j’ai fait une licence d’histoire de l’art à la Sorbonne en 2 ans pour ensuite finir par intégrer l’Ecole du Louvre où je suis rentrée sur dossier. L’Ecole du Louvre est un apprentissage de l’histoire de l’art très centré sur les œuvres avec des cours en institution muséale alors que la licence à la Sorbonne apporte une vision plus historique et généraliste propre à l’enseignement universitaire. Cette école est ce qu’il y avait de plus complet pour être commissaire-priseur car on est vraiment en face des œuvres et on en a une connaissance précise ; une bonne manière de « se faire l’œil ».
Je décide de faire un stage de commissaire-priseur à Auxerre. Peu de gens accepte de stagiaire dans ce milieu mais j’avais quelques contacts. Ma mission était simple : aller récupérer les chèques des acheteurs. J’ai flippé mais j’ai adoré le rythme, l’ambiance, les gens, l’esprit de la vente avec la montée en adrénaline qui va avec. Je me suis dit que si j’avais adoré faire la tâche la plus basse du métier j’adorerais forcément être à la plus haute.
J’ai réussi l’examen d’accès au stage de commissaire-priseur. Il y a un écrit en droit et en histoire de l’art. Puis il y a un oral avec les mêmes matières. C’est un statut très particulier. Ce sésame n’est pas une finalité mais un tremplin, un ticket en or qu’il faut savoir bien utiliser.
En effet, pour les gens qui échouent à l’examen leur carrière est loin d’être finie ou moindre ; ils peuvent par exemple travailler pour des collectionneurs, des cabinets d’expertises en assurance, ou parfois même montent eux-même leurs sociétés de vente etc. Toutefois il faut compter sur le réseau et surtout dépendre d’un commissaire-priseur diplômé si vous souhaitez vendre aux enchères.
Je commence avec les stages en société de vente volontaire et en parallèle le conseil des ventes nous forme d’une manière très privilégiée en nous faisant rencontrer des conservateurs, collectionneurs et commissaires-priseurs en régions. Un exercice pratique assez commun consiste en un tour de salle afin de recréer une situation d’inventaire où l’on prend des objets à passer en vente à Drouot et l’on a 1/2 heure pour faire une expertise sur 20 objets avec une interrogation du commissaire. On est ensuite corrigé en public.
La sélection se poursuit avec à la fin de la 1ère année un examen intermédiaire (programme/droit/déontologie/vente judiciaire/histoire de l’Art) environ 70% de réussite selon les années. Idem à la fin de la deuxième année pour l’examen de sortie (droit/déontologie/relecture du tour de salle). Les examinateurs sont des commissaires-priseurs choisis ou membres du conseil des ventes et des conservateurs des musées nationaux le plus souvent en équipe de 2 par discipline et selon l’examen.
Mon conseil pour réussir l’examen est de s’exercer au tour de salle qui est certainement l’exercice pour lequel vous aurez le moins d’entraînement dans votre étude dès la première année et qui fait le plus peur.
Avec les stages, vous serez déjà beaucoup sollicité, il ne faut pas hésiter à impliquer le commissaire-priseur qui vous forme dans la démarche. Le plus souvent, le manque de temps ne permet pas de le faire. Le temps pour l’entraînement est un luxe qu’il faut savoir s’imposer et faire respecter dans son parcours de formation.
N’hésitez pas à faire des séances de tour de salle à plusieurs à Drouot, c’est stimulant, cela permet de dédramatiser l’exercice et d’acquérir les automatismes d’expertise (les points de contrôle selon les objets et la manière de rédiger votre fiche).
Après l’obtention de mon diplôme et sortie de mon stage précédent, j’ai mis 6 mois avant de trouver mon premier job. Il faut savoir rester prudent car nombreuses sont les offres de postes où l’on vous fait miroiter la possibilité d’une évolution et d’un marteau sans que cela ne soit réellement envisageable. La culture du métier s’est beaucoup amélioré mais reste encore à moderniser. Ma première expérience ne fut pas satisfaisante, le poste proposé ne correspondant pas à la réalité qui me fut imposée dès le premier mois. Je suis partie au bout de 6 mois.
Le conseil des ventes a émis une annonce de commissaire-priseur pour faire des inventaires préparatoires d’une émission de TV spécialisée dans les ventes aux enchères. J’étais en freelance chez eux. En parallèle, j’étais commissaire-priseur habilitée en région dans une salle pour diriger les ventes. J’y suis restée un peu plus de 3 ans ; cela a été une des expériences les plus enrichissante de ma vie professionnelle. Adapter notre métier au rythme et aux attentes prévisionnelles d’une émission de télévision fut un bon challenge qui m’a fait beaucoup progresser et permis de comprendre toutes les potentialités du métier.
J’ai ressenti ensuite le besoin d’avoir une expérience plus traditionnelle, d’expérimenter la profession avec une salle des ventes, la gestion d’une clientèle, développer et monter ses propres ventes.
Je suis désormais commissaire-priseur habilitée dans une société de vente volontaire depuis bientôt 4 ans, et ne suis absolument pas déçue de ce choix.
3) Comment expliquez-vous le métier de commissaire-priseur ?
Historiquement, ce métier a été créé pour lutter contre la malfaçon de meubles. Le rôle du commissaire-priseur est de vérifier le bon aloi et de moraliser la vente de mobilier.
Aujourd’hui, le métier s’est étendu au-delà du mobilier classique et comprend véritablement avec l’activité judiciaire la notion juridique du terme « bien meuble » : soit tout bien matériel pouvant être déplacé.
Ma principale activité est de préparer les dossiers vendeurs : rechercher les clients, aller voir les objets, donner une estimation.
Très souvent, j’ai des dossiers où les clients m’envoient des photos qui n’ont pas l’air de présenter beaucoup d’objets de valeur. Donc j’offre un service et je réponds à une attente. Je développe ma clientèle en faisant des interventions gratuitement, en nouant des contacts, en rendant accessible mon savoir, je crée une relation de confiance. Cette relation est importante car on ne sait jamais d’où viendra l’objet d’exception.
Lorsque le client a des objets que l’on peut vendre, on lui propose l’expertise : je définis les objets, je les évalue, je détermine leur fonction, la manière dont ils sont fait… Le descriptif devrait permettre à n’importe qui de visualiser l’objet sans l’avoir vu. C’est une enquête sur l’objet en quelque sorte. Ceci forme une grosse partie de mon travail. Il est normal que cela prenne du temps car il ne faut négliger aucun détail.
La limite entre ce dont je ne sais pas sur un objet et ce dont je ne peux pas savoir est mince. C’est là où l’expérience joue. Je peux aussi faire appel à des experts indépendants pour m’aider.
Avec l’expertise, je fais une fiche où je m’engage sur ce que j’écris. J’ai une responsabilité de 10 ans. Certains écrits sont importants et engagent des déclarations fiscales ou en assurance.
Je propose un prix sur la fiche mais je n’ai pas besoin de le justifier avec précision. Il faut juste que le prix corresponde au contexte soit de vente soit d’expertise. Quoiqu’il est en soit : l’estimation est toujours une histoire de stratégie. Par exemple en vente, s’il est trop bas, je ne vendrais pas car je vais susciter de la méfiance des acheteurs qui vont s’interroger sur un tel prix et je perdrais du temps pendant la vente. Il faut que le prix soit accessible à l’acheteur et correspondre à la cote de l’objet. Il ne faut pas oublier aussi que le commissaire-priseur est là pour faire monter les enchères: sa commission se calculant par rapport au prix de vente. Si un objet n’est pas vendu, on ne gagne rien et s’il est mal vendu, on gagne moins.
4) Quelles qualités sont requises pour faire ce métier ?
Il faut aimer les objets et aimer chercher les trésors. Il faut une bonne psychologie de la vente, c’est-à-dire savoir comprendre l’acheteur et le vendeur…
Le rôle que l’on a auprès de l’acheteur est celui d’expert qui diagnostique en quelque sorte l’objet. On intervient parfois dans des situations compliquées pour le vendeur. Il faut savoir se positionner et comprendre le rôle que l’on a à jouer. Comme pour un médecin, le dialogue est important et permet de mieux orienter le dossier et apporter une prestation plus adaptée au client.
Le rôle que l’on a en vente est de défendre l’objet : en le présentant au mieux pour que la vente ait lieu dans les meilleures conditions. Il ne s’agit pas de mentir mais véritablement d’établir la fiche la plus précise afin que l’acheteur puisse faire son choix en toute connaissance sans que la vente ne puisse être remise en cause une fois le marteau tombé. Notre rôle est d’établir la meilleure rencontre entre une offre et sa demande et d’en optimiser les possibilités.
Il faut adorer l’histoire de l’art et s’intéresser aux choses d’une manière générale. Par exemple demain, je peux intervenir dans une salle de projection pour établir un inventaire, le dialogue que j’aurais avec les personnes qui utilisent le matériel est important. C’est en les interrogeant sur leur métier que je comprendrais bien plus vite les objets qu’ils chérissent pour leurs qualités techniques et ces biens même s’ils ne payent pour autant pas de mine.
Enfin, il faut avoir un bon relationnel et savoir être multitâche.
5) Quelle formation conseillez-vous ?
C’est bien de passer par Drouot pour rencontrer les gens du milieu, se faire des contacts, rencontrer des experts.
Le stage professionnel est difficile à avoir car c’est très concurrentiel. C’est beaucoup par réseau.
Quand pour débuter on n’a pas de réseau, ce qui fut mon cas, il faut prendre rdv avec le Conseil des ventes qui est chargé de réguler la profession. Il peut nous proposer des stages ou des jobs. Forcément, à côté des personnes avec du réseau, on a moins de chance.
J’ai trouvé mon 1er stage comme ça. On m’a envoyé au charbon car le stage était réputé pour être difficile mais j’ai beaucoup appris et ne regrette absolument pas ce choix.
Au fur et à mesure, je trouvais mes jobs suivants par réseau, par opportunités, ensuite tu te fais ta propre réputation et désormais j’ai la chance d’être sollicitée sans avoir à le demander.
6) A quel salaire peut prétendre un jeune ?
Aujourd’hui, on est plutôt salarié dans ce métier.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un débutant ne gagne que 1700€ net malgré les longues études et 2600€ après 5 ans.
L’objectif est, après des années d’expérience, de monter sa propre boîte de commissaire-priseur après avoir développé une clientèle sûre. On touche alors des commissions sur la vente côté vendeur et côté acheteur d’environ 30 à 40% sur une vente. C’est à partir de là que le métier paie très bien.
7) Il est facile d’avoir une image traditionnelle voire vieillie du métier, à votre avis, est-ce un métier d’avenir ?
Le métier a un côté pompeux et arrogant car on a l’image de Drouot, son prestige et l’image des adjudications d’objet d’exception flirtant avec les millions. Si l’on reste sur l’image de l’ancienne génération, c’est plutôt pour un public limité et assez sélect.
La profession a beaucoup de mérite, car la France offre un des rares service avec des professionnels formés et sélectionnés par examen donnant leur chance à tous. Je n’avais aucun contact dans le métier, mes parents n’avaient jamais mis les pieds en salles des ventes. J’ai pu présenter l’examen et le réussir en étant un véritable outsider de la profession. C’est ce que la formule française permet.
Le marché français a dû faire face à la concurrence anglo-saxonne, il faut le dire assez efficace qui a quelque peu bousculé un métier qui s’était endormi sur des lauriers facilement gagnés. De plus, en France, on a un peu perdu l’appétit des objets anciens qui ne se vendent moins bien même si je constate une nouvelle clientèle de jeunes parisiens qui aiment le design et commencent à s’y intéresser. C’est souvent eux qui font monter les prix.
Il faut dire que c’est également à nous d’être des passeurs de savoir et de créer l’envie. Notre génération est plus communicante et on observe déjà des initiatives très intéressantes chez nos confrères et consœurs de la jeune génération.
Le métier avec l’image qu’il a aujourd’hui est amené à disparaître. En revanche, on peut exercer le métier dans des milieux tellement différents que c’en est un métier d’avenir.
Certaines rares sociétés de vente ont eu l’intelligence de regarder les objets ou encore les situations auxquels personne ne s’intéressait, comme les entreprises hors contexte judiciaire. L’avenir est également là et nécessite forcément de savoir enlever ses œillères.
8) Quels sont les inconvénients du métier ?
On peut attendre longtemps avant de trouver la formule qui permet de bien gagner sa vie. Il faut du sacrifice, faire de longues études, trouver sa place sur le marché.
C’est également une profession stressante qui nécessite de garder une certaine forme physique. Que ce soit en inventaire ou en enlèvement, il faut accepter d’aller dans des endroits incongrus, fouiller, avoir les mains sales, porter des charges plus ou moins lourdes, ou encore savoir gérer les imprévus. En inventaire c’est comme fouiller trois générations de collecte d’objet et en enlèvement c’est parfois gérer un déménagement puissance 10.
9) Quels conseils donneriez-vous aux jeunes pour devenir commissaire-priseur ?
Il ne faut pas lâcher et y croire même si les études sont complexes et le parcours difficile.
C’est un métier en pleine mutation mais avec de l’avenir. Il faut comprendre qu’il y a plusieurs possibilités au métier, qu’il n’y a pas qu’une seule définition.
Il faut être passionné, humble, curieux, inventif, rigoureux, avoir une bonne compréhension de l’humain et du punch.
10) Merci de vos réponses. Je vous laisse le mot de la fin.
C’est un métier passionnant et qui vous comblera, avec des vrais moments de bonheur. On ne s’ennuie jamais.
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