Sophie, interne en dermatologie
Par Sophie-
Publié le : 16/09/2013
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Lecture 7 min
On apprend à s’endurcir, cela fait parti du métier.
I) Les études de médecine
1) Bonjour Sophie. Pourriez-vous vous présenter (formation, parcours, années d’expérience) ?
Après avoir obtenue un bas Scientifique, je suis directement entrée en 1ère année de médecine (que j’ai fait deux fois, comme beaucoup de gens !) à Paris V et j’ai ensuite poursuivi les 5 années d’études sans accro pour finalement passer le concours (l’ECN pour les intimes qui veut dire Examen Classant National). Je m’apprête à rentrer en 7ème année donc à commencer l’internat de dermatologie en Ile de France.
2) Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre des études de médecine ?
Pour commencer parce que c’est une science qui me paraissait vraiment passionnante, ensuite je me contenterai de citer quelques mots de Jean-Christophe Rufin (médecin, historien, globe trotteur, écrivain et diplomate) qui résume bien la chose : «N’oubliez pas que la médecine ce n’est pas seulement la vision moderne que l’on en a : une discipline uniquement thérapeutique ou scientifique. C’est avant tout la science du relationnel, du pronostic, de l’accompagnement, de l’écoute… Il y a dans la médecine une dimension humaine supérieure à un simple acte technique car le cœur de la médecine c’est l’humain.»
3) Comment s’organisent les études de médecine ? Comment se passe la transition pour passer des connaissances acquises en cours à la pratique ?
Tout d’abord, il y a des nuances entre les facultés, je parle de ce que je connais…
La 1ère année je ne peux pas vraiment en parler car elle a été réformée depuis que je l’ai passée mais grossièrement, il s’agit d’un concours où les étudiants sont sélectionnées sur leur capacité à ingurgiter un gros volume d’informations en peu de temps et non pas sur leurs capacités à faire de bons médecins, à mon sens. Il faut jouer le jeu.
Puis 5 années de tronc commun : les 2ème et 3ème années, on étudie les bases de chaque spécialités/organes (physiologie, anatomie, bases de pharmacologie, bases de sémiologie pour les maladies les plus fréquentes et/ou les plus graves) et on fait ses premiers pas à l’hôpital, le but étant d’apprendre à examiner un patient.
A partir de la 4ème année commence l’externat (et la préparation de l’ECN) : matinées à l’hôpital (rémunération environ 100 euros mensuel puis 200), après-midi en cours, à la bibliothèque ou à la maison (à étudier ou à se dire qu’il faudrait le faire). Chaque trimestre s’intéresse à 2 ou 3 spécialités suivant leur volume. Le stage est en lien avec une de ces spécialités (nous n’avons pas le temps de passer dans tous les services). Il faut aussi faire une trentaine de gardes sur l’externat (nuit ou week-end). A la fin du trimestre, nous sommes évalués sous forme de cas cliniques écrits. L’année du concours il n’y a que peu de nouvelles choses à apprendre, elle est surtout consacrée à la révision des 2 années précédentes.
Voilà en gros pour le tronc commun. Je voudrais aussi ajouter 2 choses :
– au cours de ces études, il y a la possibilité de partir à l’étranger : Erasmus (année scolaire entière ou demi année), projet de solidarité internationale l’été en 2ème et 3ème année, stage d’été à l’étranger pendant l’externat, Summer School…
– 2ème chose, la formation va avoir de plus en plus recours à la simulation : apprentissage de gestes sur mannequin, cas clinique en situation « réelle » sur mannequins où toute la prise en charge est laissée à l’étudiant…
4) On dit souvent qu’il existe une forte concurrence entre les étudiants, particulièrement dans les universités parisiennes. Est-ce vrai ? Si oui, à quel point ?
J’avais entendu ça aussi avant d’entrer en 1ère année mais je n’ai pas trouvé du tout, au contraire. Je dirais que passée la 1ère année, il y a une bonne solidarité entre les étudiants (exceptions mises à part naturellement). La 1ère année c’est un concours donc il ne faut pas trop en demander mais pas de tentatives de sabotage entre étudiants non plus. Et certains étudiants de 2ème et 3ème année organisaient des concours blancs les samedi matin pour un prix modique pour les étudiants qui n’avaient pas les moyens de s’offrir une prépa privée (l’association qui s’appelle le c2p1 peut être une source d’information sur les études médicales par ailleurs : http://forum.c2p1.fr/ ).
Ensuite en 2ème et 3ème année, les étudiants sont organisés entre eux pour que, à tour de rôle, un étudiant aille suivre le cours (le ronéotype). En début de semaine suivante, tous les cours sont disponibles dans notre casier personnel, ce qui permet, je ne le cache pas, d’esquiver beaucoup de cours et de relâcher la pression de la 1ère année et par anticipation celle des années à venir.
Par la suite, avec la préparation de l’ECN, comme c’est un concours national et que nous sommes très nombreux (8 000 concurrents mon année), il n’y a pas vraiment de raisons de se mettre en concurrence avec le faible pourcentage d’étudiants de notre entourage et comme c’est vraiment dur on a plutôt tendance à se serrer les coudes.
5) Quelles sont les plus grandes difficultés rencontrées lors de vos études de médecine ?
Leurs longueurs, ce côté marathon où il faut s’accrocher pour trouver un bon équilibre entre des études qui sont assez envahissantes (à partir de la 4ème année et jusqu’à la fin de la 6ème) et le reste, les amis, les amours, la famille. Certaines années on se retrouve souvent à dire : « non ce soir je ne peux pas, faut que je bosse » ou « non, j’aimerais bien rester mais faut que je me couche tôt demain car je bosse », etc., c’est assez frustrant.
Parfois aussi la frustration de se retrouver à faire des tâches peu gratifiantes à l’hôpital (dans certains stages, faute de personnel) comme du secrétariat, brancardage, coup de téléphone, photocopies, négociation d’examens de radiologie, j’en passe et des meilleurs ! « Bah on va demander à l’externe de s’en occuper ! »
Et aussi bien sûr parfois, la confrontation à la maladie et à la mort au cours des stages hospitaliers selon la sensibilité personnelle de chacun (la cancérologie ou certains services de pédiatrie par exemple sont particulièrement difficiles) mais on apprend à s’endurcir, cela fait partie du métier.
II) L’internat
6) Sur quels critères avez-vous choisi votre spécialité ? Etiez-vous bien classée ?
Le goût pour la spécialité évidemment, son côté très clinique (beaucoup de pathologies se diagnostiquent sans aucun examen complémentaire), la possibilité de s’installer dans le libéral à la fin des études, la variété des pathologies rencontrées y compris une fois installée dans le libéral, le fait que l’on recourt très rapidement au dermatologue dans la prise en charge (car la plupart des autres médecins n’y connaissent pas grand-chose), la qualité de vie ultérieure, le fait qu’en dermatologie il y ait très peu d’urgences (cf. qualité de vie), la diversité des patients (enfants, adolescents, adultes, personnes âgées), le contact avec le patient (hé oui, il y a des spécialités où on ne voit pas ou quasiment pas de patients !), la possibilité de faire un peu d’esthétique (pour arrondir les fins de mois et voir de temps en temps des gens qui ne sont pas malades pour une fois !), j’en oublie sûrement.
Oui j’étais bien classée, la dermatologie est une spécialité qui part assez vite. Cette année, il fallait être dans les 650 premiers environ pour la dermatologie en Ile de France et dans les 2 900 pour toute la France.
7) Pourriez-vous donner quelques rangs limites pour accéder aux spécialités ?
Sur la France entière, dans mon année, le dernier intégré pour l’ophtalmologie était dans les alentours de 2 200ème, pour l’Oto-rhino-laryngologie et chirurgie cervico-faciale 3 600ème et pour l’endocrinologie 4 550ème. Les rangs varient en fonction des années.
8) Voudriez-vous travailler en cabinet, en hôpital ou en clinique ? Pourquoi ?
Rien n’est encore fixé mais a priori de toute façon, ailleurs qu’en CHU (Centre Hospitalo-Universitaire) car il faut énormément travailler, publier et cirer des chaussures pour s’y faire une vraie place et que je ne suis pas suffisamment attirée par la recherche et l’enseignement pour que cela vaille le coup. Par ailleurs, en s’installant à plusieurs dans le libéral, il est plus facile d’aménager son temps libre à sa convenance ce qui me convient mieux.
9) Quelles sont les perspectives d’évolution de carrière du dermatologue ? Existe-t-il des passerelles pour changer de spécialités et/ou de métiers ?
Cela dépend un peu du mode d’exercice (libéral, hospitalier, CHU) mais tout mode compris, il est possible de faire de la recherche (fondamentale ou clinique), de l’enseignement, de se «sur-spécialiser» (cuir chevelu, maladies infectieuses, cancérologie, vénérologie…), de faire de l’esthétique (laser, injection de botox…).
Oui, il est possible de changer de spécialité :
– premièrement pendant l’internat par le biais du « droit au remord» qui est possible jusqu’à la fin de la deuxième année d’internat
– deuxièmement par le biais des DESC (diplôme d’étude spécialisée complémentaire) qui permettent par exemple de devenir gériatre, réanimateur… Même si ce n’est pas évident en partant d’une formation de dermatologue, c’est théoriquement possible.
Je crois qu’il est aussi possible de devenir visiteur médical et j’imagine que l’industrie des produits de beauté doit recruter des dermatologues. Il y a probablement de nombreuses autres portes que je ne connais pas.
10) Auriez-vous des conseils à donner aux étudiants pour préparer l’internat (méthodes de travail, gestion du stress, astuces etc) ?
Certains ont écrit des livres entiers sur le sujet, ce serait difficile en quelques lignes…Je dirais juste qu’il faut s’économiser. Ce concours est vraiment un marathon, il ne faut pas arriver épuisé. Donc s’accorder des moments de détente régulièrement et ne jamais laisser déborder le travail sur le temps de sommeil.
11) Est-ce utile de prendre des cours privés pour préparer l’internat ?
J’avoue que je n’ai toujours pas tranché sur cette question. Je pense que ça dépend un peu des gens. Pour ma part, j’en avais pris et ça me permettait de travailler au moins une ou 2 fois par semaine après 19h (chose que j’avais des difficultés à faire), de faire des cas cliniques dans une ambiance détendue, de dîner avec les amis sans culpabiliser et de changer un peu de l’ambiance « moi et mes bouquins ».
12) Comment se déroule l’internat ?
L’internat dure 3 ans pour la médecine générale et 4 ou 5 ans pour les DES (Diplôme d’Etudes Spécialisé) médicaux ou chirurgicaux, soit respectivement 6, 8 ou 10 semestres. Nous changeons de stage chaque semestre. Chaque DES a sa propre «maquette». Par exemple en dermatologie il faut effectuer 4 semestres en service de dermatologie obligatoirement et 4 semestres sont libres.
L’interne gère ses patients de façon quasi autonome (de plus en plus au fur et à mesure des années) : diagnostic, prescriptions d’examens complémentaires, de traitement, etc. et un Senior vient vérifier régulièrement que l’interne n’a pas de souci particulier.
L’interne est rémunéré à hauteur d’environ 16 370 euros brut annuel la première année, 18 120 la 2ème et 25 140 ensuite. Les gardes sont payées 118 euros brut la garde, il y a environ 4 gardes par mois.
13) Merci pour votre témoignage. Je vous laisse le mot de la fin.
Ces études sont longues, laborieuses, on a parfois envie de tout arrêter mais le jeu en vaut la chandelle. Ce n’est vraiment pas un métier comme les autres et finalement ça passe quand même très vite !
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